U17 ► Dans la tête d'un gardien...
Nous sommes une petite heure avant la deuxième journée du championnat U17 Elite et le déplacement des rouennais à Amiens. Dans le vestiaire jaune et noir, l'ambiance monte peu à peu sous fond de plaisanteries, discussions et musique assourdissante. Contraste saisissant à quelques mètres de ce tumultueux brouhaha, dans un couloir adjacent au vestiaire, seul le bruit de balles de tennis ricochant contre le mur vient briser le silence. Moment de solitude, moment de concentration, moment d'isolement pour cette « espèce à part » qu'est le gardien de but.
Quelque soit le sport collectif évoqué, il est de coutume de dire que le poste de gardien de but est un poste à part. Si l'affirmation est triviale, elle n'en est pas dénuée pour autant de fondement et d'intérêt. Difficile de s'immiscer dans la tête d'un gardien, difficile de s'approprier son ressenti sans avoir testé l'exercice difficile de tenter de garder sa cage inviolée. C'est en tout cas ce que tenteront sans prétention aucune de faire ces quelques lignes avec comme guide Killian Siourt, l'un des gardiens de la catégorie U17. Permettons nous de revenir à cette petite scène des balles de tennis, premier pas dans l'immersion dans la tête de notre gardien « Les gardiens sont un peu à part » confie le portier rouennais dans un sourire timide « ils ont un tempérament plus solitaire, plus introverti. Le rituel avec les balles de tennis me permet déjà de m'échauffer le regard, ce qui reste mon arme principale une fois que je serais dans la cage, c'est un moyen de rentrer progressivement dans le match, de me mettre peu à peu dans ma bulle même si je ne ressens pas le besoin nécessairement de m'isoler, arrive ensuite la symbolique de l'équipement où mécaniquement je m'équipe, c'est à ce moment là que je suis dans le match »
Si vous vous souvenez du début de l'histoire, nous sommes avant la deuxième rencontre de championnat face à Amiens en U17, si à la sirène finale les rouennais finiront par s'imposer 5 buts à 2, le début de la rencontre ne leur sourira guère. Un baptême du feu compliqué pour notre gardien Killian Siourt, gardien U15 la saison dernière, qui opérait son premier départ « C'est une pression supplémentaire, on a envie de bien faire, de ne pas faire n'importe quoi » Malheureusement pour le portier rouennais, sur l'une des premières situations dangereuses de la rencontre, ses coéquipiers ne lui facilitaient pas la tâche en laissant échapper à la ligne bleue adverse un palet de supériorité numérique, une aubaine pour l'attaquant amiénois Léo Pibouleu qui s'en allait marquer en break. «Je vois le joueur qui arrive en un contre un. Dans cette situation là, tu essaies de lire ce qu'il va faire, comment il va shooter, c'est un mélange d'instinct et de lecture de jeu. Tu essaies, aussi de le forcer à faire ce que tu attends en avançant vers lui pour reculer au même rythme pour lui laisser le moins d'espace possible. Je me sens un peu coupable sur ce but, ce n'est pas ce que je veux faire mais je pars du mauvais coté et je prends le but. « Difficile après 5 mn de jeu d'imaginer un plus mauvais scénario. Enfermé sous son masque, laissé seul avec lui-même, les pensées se bousculent entre idées noires et positivisme. « C'est toujours frustrant de prendre un but. Lorsque un gardien commence un match, dans sa tête, l'idée c'est de ne pas prendre de buts. Mais à ce moment là du match, ce n'est que le début de la rencontre. J'essaie de passer à autre chose le plus vite possible en pensant au prochain arrêt que je vais avoir à faire. La pire des choses pour un gardien, c'est de n'arriver à rien faire, de ne prendre beaucoup de buts en très peu de lancers. C'est très déstabilisant et difficile de rester positif même si par principe je me dis que quand tout va mal, cela ne peut qu'aller mieux à un moment et inversement » Pragmatique.
Fort heureusement pour l'escouade jaune et noir et son cerbère, il n'y aura que peu de temps pour cogiter alors que l'attaquant rouennais Léo Compignie trouvait l'égalisation à peine une trentaine de secondes plus tard. Moment particulier à nouveau. Alors que le banc rouennais tape de la crosse contre la bande, que les joueurs sur la glace s'enlacent pour célébrer le but, coincé dans son but, seul à l'autre bout de la patinoire, le portier rouennais profite de cet instant pour dissiper les quelques doutes subsistants suite à l'ouverture du score amiénoise « A ce moment là, la pression du 2-0 se dissipe. Une fois le premier but pris, on sait que le deuxième pourrait provoquer une situation compliquée, là en égalisant, on peut vraiment repartir à 0-0 et repartir comme il faut. C'est le moment pour moi de me sentir un peu plus en sécurité. Au fur et à mesure des lancers, les différents arrêts me mettent en confiance, peu à peu la pression se dissipe » témoigne Kilian alors que dans la foulée les rouennais doublent la mise pour mener désormais au score à la première pause. Dans le camp rouennais, à la fin du premier tiers, l'ambiance est plutôt joyeuse, l'inversion au score y étant pour beaucoup, on plaisante même sur cette petite scène rocambolesque où sur une incompréhension avec son défenseur, le portier rouennais aurait pu voir son premier vingt se compliquer sérieusement « Sur l'instant, c'est un peu la panique, j'essaie de revenir le plus vite possible devant ma cage en plongeant. Je ne suis pas énervé, je sais juste que l'on ne s'est pas compris, on sait qu'on ne le refera plus. C'est un des aspects aussi du gardien de but, avec sa position, il a une meilleure vision du jeu, c'est à lui de prévenir les joueurs de l'arrivée d'un danger ou de les aider dans le placement »
A nouveau dans le tumulte du vestiaire rouennais, même sentiment de solitude visuelle pour le gardien. Prenez quelques minutes pour visualiser. Au milieu du vestiaire, l'entraîneur qui parle, gesticule en ressassant les faits marquants du premier tiers, les joueurs autour qui échangent, discutent autour des remarques, refont déjà le match, le responsable d'équipe qui s'affaire pour remplir les gourdes et préparer au mieux le tiers suivant. Un joli tableau cacophonique où seul le gardien détonne, toujours enfermé dans sa bulle « Au vestiaire, je repense à la période qui vient de se passer en me refaisant le film du match. J'essaie de rester concentré en restant calme sans bouger dans tous les sens » Un monde d'intériorité engoncée dans un cercle assourdissant. Tout l'art du contraste du hockey sur glace.
Le reste de la rencontre sera plus aisée pour des rouennais qui creuseront peu à peu l'écart notamment au prix d'une deuxième période de haute volée face à une équipe picarde moins en prise avec son hockey à tel point qu'après trois minutes dans la troisième période, les U17 rouennais mènent désormais 5 buts à 2 avec une avance substantielle leur permettant de voir venir. Dès lors, réflexe humain, peu à peu, chacun des joueurs se relâcheront sur la glace, tombant peu à peu dans une douce torpeur de facilité. Moins d'efforts pour être premier sur le palet, moins précis dans le placement défensif, moins d'envie sur les replis défensifs autant de petits détails inconscients que chaque joueur aura expérimenté ici ou là lorsque son équipe mène au score. Un luxe que ne peut pas se permettre le portier tant la visibilité du poste le met dans la lumière : un mauvais but pour relancer l'équipe adverse, une nonchalance impossible sans en payer le prix, autant de perspectives qui rendent le poste ingrat. Seul mais dans la lumière. « On a pas le droit de se relâcher dans la cage, il faut rester dans le match. Face à Amiens, c'est plus facile de rester concentré puisque je reçois des shoots régulièrement, c'est moins compliqué de suivre le jeu, de rester dedans avec nettement moins de pression quand le score est acquis. Là, je peux vivre le match et prendre du plaisir » Du plaisir, l'essence même de ce jeu glacé quelque soit le poste que l'on soit sur la glace dans la pénombre ou la lumière, à l'attaque à la défense ou coincé dans sa cage. L'essentiel est dit.
Merci à Killian Siourt pour nous avoir permis de rentrer le temps de quelques lignes dans sa tête et de laisser entrevoir ce qui se peut se passer sous le masque des cerbères glacés.
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